La collecte de près d’un millier de questionnaires à travers tous ces territoires ainsi que des rencontres avec la société civile et de nombreuses autorités judiciaires,administratives et politiques a permis de mettre en évidence une analyse des conflits fonciers par leur localisation, leurs causes, leurs protagonistes, et surtout, les modes de règlements auxquels la population a recours.
RÉSUMÉ EXÉCUTIF
L’Ituri a connu une guerre entre 1999 et 2003 qui a fait environ 50 000 victimes et dont une des origines est la lutte pour les ressources foncières. Depuis, l’Ituri est revenu à un état de « ni guerre ni paix » où le calme reste précaire. La résurgence de violences foncières en 2007 et 2009 a conduit à la nécessité d’une investigation fouillée des conflits fonciers dans ce district de la République démocratique du Congo.
Cette étude relative aux conflits fonciers en Ituri a été menée entre novembre et décembre 2008 sur le terrain, à savoir dans les cinq territoires du District de l’Ituri, Province Orientale.
La collecte de près d’un millier de questionnaires à travers tous ces territoires ainsi que des rencontres avec la société civile et de nombreuses autorités judiciaires, administratives et politiques a permis de mettre en évidence une analyse des conflits fonciers par leur localisation, leurs causes, leurs protagonistes, et surtout, les modes de règlements auxquels la population a recours.
Un des principaux constats revient à limiter la dimension ethnique des conflits fonciers, élément intéressant dans cette région touchée par une guerre (1999-2003) qui a été largement interprétée comme un conflit foncier ayant dégénéré en guerre interethnique. S’il ne faut pas sous-estimer ni le sentiment communautaire dans les tensions qui perdurent en Ituri, ni l’aspect de marqueur identitaire du foncier, la présente étude dégage d’autres éléments pertinents.
En Ituri, les conflits fonciers ont une histoire et une densité. Cette étude en a répertorié 239 qui se classent en deux catégories : les conflits d’usage et les conflits de propriété.
Les premiers portent sur la contestation du droit d’usage qui est fait d’un lopin de terre que l’Etat ou une autre autorité accorde aux particuliers pour la culture, l’élevage ou l’habitation. Typiquement, les conflits forestiers, qui se manifestent principalement dans le territoire de Mambasa et concernent l’exploitation des ressources forestières, entrent dans cette catégorie. Les exploitations forestières contrarient, en effet, les activités traditionnelles de chasse et de cueillette pratiquées par les communautés locales, notamment les Pygmées. Le foncier forestier est donc aussi objet de contestation.
Les conflits de propriété portent sur la contestation de l’attribution de droits de propriété d’une terre à des individus, une compagnie ou une communauté. Ces conflits prennent la forme de disputes de terres en milieu rural (les plaignants arguent qu’elles font partie des terres d’une communauté locale, d’un village ou d’un clan). Il s’agit généralement de conflits collectifs (conflits de terres dans la terminologie de ce rapport). Ils prennent la forme de conflits de parcelles en milieu urbain et conflits de concessions en milieu rural. Il s’agit alors de conflits fonciers individuels. Ou encore ces conflits portent sur la délimitation des concessions ou des terres, dépassement, empiètement ou déplacement ou destruction des bornes définissant les limites de propriété. On les dénommera alors conflits de limites.
La plupart des conflits voient la confrontation de droits collectifs et de droits individuels, alors même que ces droits collectifs sont peu définis par la loi foncière. En effet, il s’agit généralement de terres coutumières, qui bien que versées au domaine de l’Etat depuis la loi foncière de 1973, ne disposent pas d’un statut clair : l’ordonnance présidentielle devant régir le régime de ces biens n’est jamais intervenue. Ce flou juridique s’ajoute à une large méconnaissance de la loi par la population (78% des victimes de conflits fonciers interrogées déclarent ne pas la connaître) et, pour ceux qui la connaissent, à une procédure d’enregistrement des biens qui est longue, complexe, et coûteuse, c’est à dire peu accessible à une population pauvre et majoritairement rurale, éloignée des services administratifs compétents qui sont eux-mêmes défaillants (manque de moyens, manque de formation, manque d’effectifs etc.).
Cette étude s’est efforcée de cerner les perceptions des conflits fonciers par la population tout comme les techniques de résolution privilégiées par celle-ci. Ainsi, les causes des conflits évoquées par la population comprennent à la fois des causes immédiates (jalousie, expropriation, divagation des bêtes, construction anarchique, etc.) et des causes structurelles (modernisation, mauvaise distribution des ressources foncières, croissance démographique, etc.). Cela dénote une compréhension assez complète du phénomène des conflits fonciers, c’est-à-dire une compréhension qui va au-delà du motif concret du litige (par exemple, l’occupation illégale) et le replace dans des perspectives plus globales (démographie du territoire, histoire du peuplement, etc.).
L’inégalité foncière, la défaillance des pouvoirs publics, les contradictions entre systèmes normatifs moderne et traditionnel, l’incomplétude du système foncier congolais, la densification humaine, etc., se conjuguent pour faire de l’Ituri une zone de grande insécurité foncière sur fond de pluralisme juridique. Cette insécurité est multiforme :
insécurité du possesseur sans titre d’un terrain ; insécurité du titulaire d’un titre quant à l’acceptation de sa propriété par la communauté, voire quant à la validité réelle de son titre devant un tribunal ; insécurité administrative relative aux coûts et délais nécessaires pour acquérir une parcelle/concession
Le système légal étant largement théorique (le monopole de l’Etat sur le foncier), il existe de facto un marché des terres où le principe de la propriété individuelle entre en contradiction avec celui de la propriété communautaire. Deux sources concurrentes de légitimité (le premier occupant mythique et le titre foncier) structurent le jeu des mouvements de propriétés en Ituri et le rendent conflictuel. Même si le foncier est partout litigieux ou presque, certains territoires (Mahagi et Irumu) concentrent les conflits fonciers tandis que d’autres zones ont des problèmes fonciers spécifiques (Mambasa, Bunia, etc.).
Dans un tel contexte, les auteurs recommandent :
une vulgarisation de la loi foncière, à travers l’administration foncière, les ONG ou encore la Commission foncière de l’Ituri ; l’adoption d’un décret ministériel devant réglementer les terres des communautés locales, après concertation avec celles-ci ; l’appui à la régulation formelle et informelle des conflits fonciers ; la transformation de la Commission foncière en instance de supervision des questions foncières dans le district ; une politique de sécurisation foncière au niveau du district ; l’instauration de commissions locales d’arbitrage dans les situations d’urgence ; le développement de stratégies coopératives entre les autorités étatiques et les autorités traditionnelles.
En tout état de cause, compte tenu de la gravité, de l’ancienneté et de la complexité de la situation foncière en Ituri, il convient de trouver des solutions innovantes à un problème qui ne peut se résoudre par la seule remise en marche de l’administration cadastrale et la fabrication bureaucratique de droits de propriété. En ce sens, beaucoup d’espoirs reposent sur la Commission foncière de l’Ituri qui au niveau local pourrait assurer un rôle pacificateur. Après avoir connu une phase d’imposition de la paix par des interventions internationales, leAs Ituriens doivent la consolider de manière endogène, ce qui implique obligatoirement d’apporter une (ou des) réponse au problème foncier.
Intégralité du rapport en format PDF: http://www.rdc-humanitaire.net/IMG/pdf/09_2009_RCN_Conflits_fonciers_Ituri.pdf