A Bunia, au nord-est de la RD Congo, la consommation de chanvre augmente. Autrefois drogués par les seigneurs de guerres, les anciens combattants ne parviennent pas à arrêter. Certains de leurs proches commencent eux aussi à fumer.La société civile s’inquiète des crimes et de l’insécurité que ces consommateurs font régner sur leur cité.
En passant dans certains quartiers de Bunia, on sent une odeur particulière… Une fumée provient de petites maisons en pisé. ‘Ce sont des fumeries et des points de vente de chanvre’, indique Jean-Marie Wendo, chef du quartier Lumumba, un des plus populeux de cette cité du district de l’Ituri, au nord-est de la RD Congo. Il poursuit : ‘Une fois ciblés, les vendeurs de ce produit nocif se déplacent vers d’autres endroits. Cela rend souvent difficile la tâche des agents de l’ordre public.’ A l’intérieur de ces fumeries, fréquentées à longueur de journées, on trouve en majorité des jeunes gens, assis sur des canapés. Ils sympathisent, profitant de l’occasion pour se créer une sorte de confrérie autour des cigarettes de chanvre qu’ils se transmettent à tour de rôle. Ils paient cette drogue à un prix raisonnable, une bonne quantité provenant des villages périphériques de Bunia où le chanvre pousse abondamment dans la forêt équatoriale. Ces jeunes sont, pour la plupart, d’anciens miliciens, qui ont vécu des traumatismes au cours des guerres interethniques. Ils ont été quelquefois obligés de tuer. Certains ont perdu leurs parents. Bon nombre d’entre eux sont aujourd’hui au chômage et, désœuvrés, peinent à arrêter de fumer du chanvre. Au contraire, certains de leurs proches les ont même imités, augmentant le nombre de consommateurs. ‘Sous l’effet de cette drogue, ils ne parviennent plus à contrôler leurs actes. Ils ennuient les passants et débitent des insanités au gré de leurs caprices’, déplore un responsable de la société civile locale. ‘Bon nombre d’auteurs des violences sexuelles et autres crimes de droit commun se comptent parmi les fumeurs de chanvre !’, s’inquiètent les activistes des Droits de l’homme.
‘Beaucoup de difficultés à arrêter’
La consommation de cette drogue s’est rependue à Bunia lors des guerres interethniques en Ituri, entre 1999 et 2003. Pendant cette période, de nombreuses personnes, surtout des jeunes, avaient été recrutées dans des milices et groupes armés. ‘Ce produit nocif était donné aux combattants par les seigneurs de guerre pour les droguer afin de les utiliser dans des opérations dangereuses. Aux enfants soldats qui ne pouvaient pas fumer, on faisait consommer cette drogue dans la nourriture ou les boissons. Après la guerre, il est devenu difficile pour plusieurs d’entre eux d’abandonner cette habitude’, observe Oscar Mabawa, responsable d’un centre de rééducation d’anciens enfants soldats.
François, un ancien combattant, fait actuellement le taxi-moto. Il parle ouvertement de sa dépendance à ses clients. ‘J’ai appris à fumer le chanvre lors des conflits armés. Depuis, j’éprouve beaucoup de difficultés à arrêter, car il me donne de la résistance et du courage. Après avoir fumé, je peux conduire la moto toute la journée et la nuit jusqu’aux petites heures du matin. Je fais ainsi de bonnes recettes’, affirme-t-il, sans se préoccuper des risques d’accidents qu’il occasionne quand il roule sous l’emprise du chanvre. Alphonse, ancien milicien, fume, lui, pour oublier le passé. ‘Lorsque je n’ai pas pris de chanvre, je me sens malade. Ce produit me console beaucoup quand j’ai des remords à cause des événements tragiques que j’ai connus pendant la guerre. Je faisais en effet partie d’un peloton d’exécution…’
L’ampleur de la consommation de cette drogue inquiète à Bunia, une région où la cohabitation pacifique entre communautés jadis en conflit se renforce jour après jour. Utilisés lors de ces conflits, ces jeunes, de différentes ethnies, sont depuis devenus des fardeaux, pour leurs propres familles et pour l’ensemble de la société.
Désiré BIGEGA
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