Si les conditions de vie sont difficiles dans le camp de déplacés de Mugunga, situé à la périphérie de la ville de Goma, dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), la vie est encore plus dure pour les centaines de personnes issues de la communauté des Pygmées bambutis qui vivent autour du camp.
« On ne peut pas semer, ici », a expliqué Mupepa Muhindo, chef des Bambutis, en grattant la terre, recouverte de lave depuis l’éruption volcanique de 2002. « Ce n’est pas possible de cultiver la terre ».
Les Bambutis compteraient parmi les plus anciens habitants d’Afrique centrale. Pendant de nombreuses générations, cette ethnie nomade habitait la forêt et vivait de la terre, de la chasse et de la cueillette.
Pour Mupepa Muhindo, la vie a changé en 2004 lorsqu’il a fui, comme des millions d’autres habitants, pour échapper à la guerre qui sévissait dans l’est de la RDC. Si la vie était dure pour toutes les personnes déplacées, elle l’était d’autant plus pour les Bambutis, accablés par la violence et la discrimination quotidienne.
Selon un spécialiste international, ce peuple indigène de RDC est le plus marginalisé de tous les peuples marginalisés auprès desquels il a travaillé.
Le groupe a quitté le camp de Mugunga, dans la province congolaise du Nord-Kivu, à la suite de disputes avec d’autres résidents, qui ont fait un mort. Aujourd’hui, les Bambutis vivent avec peu, sinon pas, d’aide des organisations humanitaires. Ils n’ont ni l’électricité, ni l’eau courante ; et leurs abris de fortune aux toits de paille les protègent mal des pluies fréquentes.
« Bien que les Pygmées ne reçoivent pas de bâches en plastique, ni d’autres aides matérielles, le HCR [Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés], par l’intermédiaire de ses partenaires au sein d’ONU-Habitat et des autorités publiques du Nord-Kivu, plaide en faveur du développement de neuf hectares de terres, réservés pour eux par les autorités locales », a déclaré l’agence onusienne pour les réfugiés dans un courrier électronique envoyé en réponse aux questions d’IRIN.
Selon l’organisme, environ 300 familles bambuties vivent à Hewa Bora, un peuplement situé près du camp de Mugunga.
Manque de services
Hodi Nyiramajambere, une femme âgée, vivait non loin de là, dans le parc national des Virunga, un espace protégé qui abrite diverses espèces d’animaux rares et menacées, notamment des gorilles des montagnes. « Le gouvernement m’a forcée à quitter le parc ; il est donc responsable de ma vie », a-t-elle dit.
Le manque d’accès à des soins de santé, même élémentaires, est une question particulièrement préoccupante. « Les infirmières nous mettent à la porte », a dit Mme Nyiramajambere. « Elles ne nous donnent pas de médicaments, parce que nous n’avons pas d’argent. Nos enfants et nos bébés meurent ».
D’après Mark Lattimer, directeur exécutif du Minority Rights Group (MRG), un organisme londonien, la discrimination dont sont victimes les Pygmées remonte à plusieurs centaines d’années ; elle est profonde et solidement ancrée à tous les niveaux de la société congolaise.
« Un des plus gros problèmes, c’est qu’ils ont beaucoup de difficultés à bénéficier de services publics ou sociaux, quels qu’ils soient, en partie parce qu’ils n’en ont pas les moyens », a-t-il dit. « Ils se font systématiquement renvoyer. Les responsables ou toute personne ayant quelque autorité leur disent simplement “tu es un Pygmée, va-t-en” ».
En raison de ces attitudes, les parents déclarent rarement les naissances ; on ignore donc exactement combien sont les Pygmées, au total. Selon les estimations de M. Lattimer, ils seraient 30 000 au Nord-Kivu, et entre 200 000 et 500 000 dans l’ensemble du pays.
Les répercussions de la guerre
Bien qu’ils n’aient jamais pris les armes, les Bambutis ont été les victimes de presque tous les groupes armés. En effet, des violations graves des droits humains sont fréquemment commises à l’encontre des Pygmées ; ce fut en particulier le cas en 2004 dans la région de l’Ituri (nord-est) où le MRG a fait état d’une campagne de viols, de torture, de massacres et même de cas isolés de cannibalisme, commis par des soldats du Mouvement de libération du Congo (MLC), dirigé par Jean-Pierre Bemba, et du Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD).
M. Bemba, ancien vice-président de la RDC, attend d’être jugé devant la Cour pénale internationale pour les crimes qu’il aurait commis en République centrafricaine.
A en croire le MRG, ces violences sont liées à des superstitions selon lesquelles les Pygmées auraient des pouvoirs surnaturels et avoir des rapports sexuels avec des femmes bambuties permettrait de guérir, une excuse fréquemment invoquée pour justifier les viols.
« Je doute que les auteurs de ces violences croient vraiment à cela », a dit M. Lattimer. « C’est juste un moyen de se justifier. Le vrai problème, c’est tout simplement l’impunité dont jouissent les individus qui s’en prennent, de quelque façon que ce soit, aux communautés pygmées, et la marginalisation totale de ces communautés au sein de la société congolaise ».
Peu de programmes visent à offrir une vie meilleure aux Pygmées, les organisations humanitaires locales et internationales s’intéressant à d’autres activités en RDC, bien que le MRG mène plusieurs programmes destinés à encourager les enfants à aller à l’école. Jusque 90 pour cent des Pygmées de RDC sont illettrés, selon M. Lattimer.
M. Muhindo a expliqué qu’il n’avait pas les moyens de payer les frais de scolarité de ses enfants, environ cinq dollars par mois, ni de leur acheter des uniformes. « Les enfants pygmées n’étudient pas », a-t-il dit. « Parce que nous ne recevons pas d’instruction, nous ne pouvons pas nous considérer comme des personnes comme les autres. Les Bantus ne nous considèrent pas comme des personnes comme les autres ».
Problèmes fonciers
D’après M. Lattimer, la question du manque de terres compromet également leur avenir ; il s’agit en effet d’un problème particulièrement grave pour les personnes déplacées qui, une fois rentrés chez elles, découvrent que les terres qu’elles occupaient depuis plusieurs années ont été vendues à des tiers.
« Les Bambutis sont effectivement des réfugiés dans leur propre pays, car ils n’ont pas de titres de propriété », a dit M. Lattimer. « Au Nord-Kivu, en particulier, les terres sont vraiment au cœur du développement. Ils vivent au même endroit depuis des générations, mais ils n’ont pas de morceau de papier stipulant qu’ils sont propriétaires de ces terres ».
ONU-Habitat s’efforce d’assurer que les Bambutis qui vivent près de Mugunga se voient délivrer des titres de propriété.
Certains se sont installés dans des villes telles que Goma, chef-lieu de la province du Nord-Kivu, pour y tenter leur chance. Michel Nganga Buruki Kisolobo y a ouvert un centre d’information – un bâtiment de bois vide où il a accroché au mur une guitare et une natte - à l’attention des personnes qui ont des difficultés à s’adapter à la vie citadine.
Michel Nganga, herboriste, parvient à gagner sa vie à Goma, mais d’autres Bambutis se heurtent souvent à des difficultés, dit-il, car la discrimination les suit, où qu’ils aillent. « Les Pygmées veulent trouver du travail, mais ce n’est pas facile », a-t-il dit.
M. Nganga s’inquiète également à l’idée que les Pygmées venus s’installer à Goma puissent oublier leur style de vie traditionnel. « Nos enfants doivent connaître les animaux qui vivent dans la brousse », a-t-il dit.
Via afrik.com
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