SYNTHÈSE ET RECOMMANDATIONS
L’accord négocié entre la République Démocratique du Congo (RDC) et le Rwanda, portant sur un renouveau de la coopération militaire et politique entre les deux pays, est un pas en avant essentiel pour la consolidation de la paix dans la région, mais n’est pas suffisant pour rétablir la stabilité dans les Kivu. Les cinq semaines d’opérations militaires conjointes qui ont fait suite à cet accord n’ont pas eu les résultats escomptés contre les rebelles hutu rwandais. L’intégration des hommes de Laurent Nkunda dans les rangs des forces gouvernementales après son remplacement par Bosco Ntaganda, demeure incomplète malgré l’accord signé le 23 mars 2009 avec Kinshasa. Un groupe de suivi international, présidé par l’Envoyé spécial des Nations unies Olusegun Obasanjo et l’Envoyé spécial pour la région des Grands Lacs, Benjamin Mkapa, devrait travailler avec les gouvernements rwandais et congolais afin d’accompagner et de mettre en œuvre une véritable stratégie de construction de la paix dans les Kivu. Parallèlement, les bailleurs de fonds devraient conditionner leur aide à l’adoption et à la mise en œuvre par Kinshasa d’un ensemble de mesures juridiques visant à combattre l’impunité.
La normalisation des relations entre le Rwanda et la RDC est un élément essentiel de la stabilisation du Congo oriental et de l’ensemble de la région des Grands Lacs. Le nouvel accord entre les deux pays tente de répondre aux questions qui ont empoisonnées leurs relations bilatérales depuis quinze ans. Selon les termes de l’accord, le Rwanda a accepté de retirer son soutien à Laurent Nkunda et son insurrection, et de faire pression sur son mouvement, le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), pour que ses hommes acceptent leur intégration dans l’armée nationale. Kinshasa, de son côté, a accepté d’entreprendre une attaque militaire conjointe sur son territoire avec l’armée rwandaise contre les restants du mouvement génocidaire de 1994. Un résultat immédiat et bénéfique de l’accord réside dans le remplacement de Nkunda suivi de son arrestation.
Malgré l’opération, les Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR), comptent toujours près de 6 000 combattants, une structure de commandement organisée et une branche politique qui propage sa propagande à l’étranger. Seuls des camps vides ont étés détruits, et les forces conjointes n’ont fait que disperser les unités FDLR du Nord Kivu plus à l’ouest. Si des pertes civiles importantes ont été évitées au cours de l’opération et si la plupart des troupes rwandaises semblent avoir quitté la RDC, les FDLR retournent déjà à leurs anciennes positions, attaquent l’armée congolaise (FARDC) et se vengent sur les communautés qu’ils soupçonnent d’avoir soutenu l’opération conjointe.
Le 30 avril, seuls 578 rebelles hutu rwandais (enfants soldats inclus) et 286 anciens soldats de l’armée rwandaise qui avaient temporairement rejoint le CNDP avaient été rapatriés. Les futures opérations contre les FDLR doivent être préparées plus attentivement. Une stratégie anti-FDLR efficace ne peut être mise en œuvre sans le soutien du Rwanda et sans préparation et coordination avec la MONUC. Cette coordination doit avant tout remplir le vide laissé par les opérations militaires en évitant que les populations civiles ne deviennent des “dommages collatéraux” ou ne subissent les actes de représailles des FDLR, tout en s’assurant que les troupes libérées de leurs chaînes de commandement soient effectivement désarmées.
De plus, le succès de l’intégration des combattants tutsi du CNDP dans l’armée congolaise est contestable. L’aile militaire du CNDP a été décomposée en sections et mélangée à d’autres sections composées de miliciens hutu, mayi-mayi et FARDC. Les commandants du CNDP ont également été intégrés à la haute hiérarchie de la 8e région militaire. Il est cependant probable que ces unités intégrées se désintègrent rapidement. Leur discipline, cohésion et volonté de combattre sont extrêmement faibles et les causes profondes de l’insurrection n’ont pas été traitées. Un environnent sécuritaire propice au retour de 60 000 réfugiés et 850 000 personnes déplacées est loin d’exister.
Les anciens dirigeants du CNDP et les commandants des FARDC ont de terribles antécédents en termes de violences infligées aux populations civiles au cours de leurs opérations et de participation à l’exploitation illégale des ressources naturelles du Nord Kivu. La population des Kivu a énormément souffert des violences sexuelles. Illustrant la crise dramatique que connaît la société congolaise, le viol, pratiqué par des hommes ou des adolescents à l’encontre de femmes de tous âges mais aussi d’autres hommes, n’est pas seulement pratiqué comme une arme de guerre, mais constitue désormais un mécanisme routinier d’établissement des relations de pouvoir. Cette escalade de violence sexuelle doit être absolument traités en priorité, notamment en rendant les militaires et civils coupables d’exactions, responsables de leurs actes.
La lutte contre la culture de l’impunité, la restauration de la sécurité et la démilitarisation de l’économie sont d’autres composantes essentielles de la construction durable de la paix et du retour de l’autorité de l’Etat dans les Kivu. Enfin, les efforts de stabilisation dans l’Est congolais ne peuvent réussir sans la continuation et la réussite de reformes institutionnelles soutenues par un engagement politique fort au centre du pays, où la politique nationale congolaise est largement déterminée. Si la paix est consolidée dans les Kivu grâce à une amélioration de la gouvernance à Kinshasa, c’est aussi tout le pays qui en bénéficiera.
Une stratégie de construction de la paix dans l’Est de la RDC doit comporter cinq priorités : 1) une stratégie crédible et globale de désarmement des rebelles hutu rwandais dans les deux Kivu ; 2) la reprise de la réforme du secteur de sécurité, en mettant l’accent sur le renforcement des capacités institutionnelles et de la responsabilité pénale des acteurs de la violence dans les Kivu et la Province orientale ; 3) un plan spécifique pour la promotion de la réconciliation et de la sécurité humaine, qui se concentre sur la responsabilité judiciaire et des conditions permettant le retour et la réintégration des réfugiés et des déplacés ; 4) un engagement politique visant à améliorer la gouvernance par le biais d’une transparence économique accrue, un système de taxation plus équitable, la décentralisation et la tenue d’élections locales ; et 5) le maintien des efforts quant à la stabilisation des relations régionales.
Le problème en RDC ne réside pas tant dans l’identification des objectifs de construction de la paix que dans la capacité à maintenir la volonté politique nécessaire et à créer des partenariats efficaces. Puisque la crise financière internationale réduit les ressources existantes, il est d’autant plus important de rationaliser et de coordonner l’engagement international en faveur de la RDC. Ceci implique une répartition claire des rôles entre les différentes agences des Nation unies, des donateurs, et des Etats et organisations régionales, et un conditionnement systématique de l’assistance internationale à des changements radicaux de gouvernance.
Pendant la crise d’octobre-novembre 2008 dans le Nord Kivu, alors que la menace d’une catastrophe humanitaire se précisait autour et à l’intérieur de Goma, un fort engagement politique de la part des acteurs nationaux et régionaux a eu plus d’impact dans la protection des civils que les troupes déployées sur le terrain. Ce type d’engagement politique doit être maintenu aux plus hauts niveaux à Kinshasa et dans la région pour que les efforts de construction de la paix puissent aboutir. Focaliser tous les efforts sur les Kivus sans faire pression sur Kinshasa pour faire aboutir les réformes nécessaires à l’amélioration de la gouvernance politique et économique dans tout le pays serait contre-productif.
L’implication internationale et le soutien à la construction de la paix doivent être maintenus et coordonnés par les Envoyés spéciaux pour les Nations unies et les Grands Lacs – tous deux d’anciens présidents africains reconnus – au moins jusqu’aux élections de 2011. L’objectif doit être de mettre en place une feuille de route qui précise les rôles et les responsabilités de chacun des partenaires, ainsi que les étapes essentielles à respecter afin que le processus devienne irréversible. Ensuite seulement la Mission des Nations unies au Congo (MONUC) pourra se retirer.
Recommendations
A l’Envoyé spécial des Nations unies pour les Grands Lacs, Olusegun Obasanjo, et l’Envoyé spécial de la région des Grands Lacs, Benjamin Mkapa :
1. Produire avec la MONUC, les donateurs et les partenaires régionaux, une feuille de route pour la mise en place d’une stratégie globale de construction de la paix, qui se concentre sur la division du travail et les cinq priorités suivantes :
Première priorité : mise en oeuvre d’une stratégie anti-FDLR efficace
A la MONUC, au gouvernement de la République Démocratique du Congo et au gouvernement du Rwanda :
2. Suspendre l’opération Kimya II et préparer de nouvelles opérations militaires conjointes contre les FDLR permettant aux Forces spéciales rwandaises d’exercer une pression contre le noyau dur armé qui refuse le désarmement volontaire. Parallèlement, la MONUC et les FARDC doivent combler le vide créé par ces mesures en donnant la priorité à un renforcement de la sécurité des civils et en mettant en oeuvre le désarmement des combattants du rang.
3. Augmenter la sensibilisation envers les troupes des FDLR, la plupart n’étant pas liés au génocide, et proposer notamment une relocalisation dans un pays tiers ou des zones éloignées des Kivu pour ceux qui refusent de rentrer au Rwanda mais acceptent le désarmement volontaire.
Aux Etats membres de l’Union européenne, aux Etats-Unis, au Canada et aux Etats africains où les dirigeants des FDLR résident, incluant le Cameroun, la République centrafricaine, la Zambie et le Kenya :
4. Coordonner des actions en justice afin d’empêcher les levées de fonds et la diffusion de propagande par les dirigeants des FDLR et bloquer leur accès aux médias étatiques nationaux, dans les limites imposées par le droit national.
Deuxième priorité : réorienter la réforme du secteur de sécurité vers des résultats dans l’Est
A la MONUC et au gouvernement de la RDC :
5. Renforcer les FARDC dans les zones précédemment contrôlées par les FDLR en détachant du personnel de la MONUC pour l’encadrement et l’observation pour une période allant jusqu’à un an. Préparer leur remplacement par des unités de police et d’autres représentants de l’administration civile quand la situation sécuritaire se sera améliorée.
6. Augmenter les primes versées aux soldats impliqués dans les opérations conjointes ; améliorer la formation des officiers ; responsabiliser les militaires par le renforcement des mécanismes de justice et de police militaire, afin que les responsables de détournements de fonds ou de violation des droits de l’homme soient jugés et que les populations civiles soient mieux protégées.
Aux donateurs et autres partenaires régionaux du Congo impliqués dans la réforme du secteur de sécurité :
7. Réhabiliter en priorité les infrastructures des 8e, 9e et 10e régions militaires ; réformer leurs systèmes de gestion, avec une attention particulière portée aux communications, au contrôle de l’armement et des munitions et à la gestion du personnel ; élargir la mission de l’Union européenne en matière de réforme du secteur de sécurité au Congo (EUSEC), afin qu’elle puisse soutenir les politiques précitées, en coopération avec les partenaires régionaux volontaires.
8. Procurer l’expertise nécessaire à l’établissement d’une commission de contrôle au sein des FARDC afin d’éliminer progressivement les violateurs des droits de l’homme de la structure de commandement et des troupes et y conditionner le soutien financier et technique.
Troisième priorité : encourager la réconciliation et la sécurité humaine
Au gouvernement du Congo et aux bailleurs :
9. Investir d’importantes ressources dans la réintégration des anciens combattants par des programmes de reconstruction générateurs d’emplois et de formation professionnelle.
10. Augmenter les capacités d’arrestation, de détention et de jugement dans les Kivus et la Province orientale, particulièrement pour les violences sexuelles ; mettre en place des unités de police et d’enquête spéciales, tout en faisant du recrutement et de la formation des femmes une priorité afin d’encourager la dénonciation des crimes sexuels et de faciliter les poursuites.
11. Intensifier les efforts de sensibilisation à destination des civils et des dirigeants militaires sur les crimes sexuels par la mise en place d’une campagne nationale contre les violences sexuelles ; criminaliser et allonger la durée des peines dans les cas de viols et de violences sexuelles pour les coupables civils et militaires.
Au membres du parlement congolais et aux organisations de la société civile congolaise :
12. Lancer un débat national sur la justice et la réconciliation afin de pouvoir construire un consensus autour de la création d’une Commission Vérité, Justice et Réconciliation pour examiner les crimes de masse commis dans le pays depuis 1991, et contribuer à panser les plaies de dix années de guerre dans l’Est congolais.
Aux administrations provinciales du Nord Kivu et du Sud Kivu:
13. Constituer une commission foncière afin de faciliter le retour paisible de tous les réfugiés et déplacés et d’empêcher que de nouveaux griefs suscitent des tensions ethniques.
Quatrième priorité : améliorer la gouvernance
Au gouvernement du Congo, aux institutions financières internationales et aux bailleurs :
14. Intensifier la formation et le déploiement du personnel des douanes et des accises dans les Kivus ; envoyer des conseillers techniques étrangers dans les Kivus ; soutenir l’engagement de poursuites en justice contre les fraudes fiscales sans discerner l’appartenance politique ou ethnique ; renforcer les capacités d’audit et de contrôle des revenus fiscaux de l’administration. L’aide directe étrangère doit être strictement conditionnée à la mise en œuvre de ces politiques.
A la MONUC, aux bailleurs et au gouvernement congolais :
15. Relancer une coopération active pour la production d’un cadre légal et administratif permettant la mise en place d’autorités provinciales efficaces et responsables, telles qu’elles sont prévues par la constitution dans ses dispositions sur la décentralisation.
16. Intensifier, en coopération avec la Commission électorale indépendante congolaise, la préparation des prochaines élections locales une fois les cadres électoraux, légaux et de décentralisation établis.
Cinquième priorité : pérenniser la stabilisation des relations régionales
Au secrétariat de la Conférence internationale pour les Grands Lacs:
17. Mettre en place une commission chargée d’évaluer les relations régionales dans la région des Grands Lacs depuis 1991, avec pour objectif de déterminer les mesures nécessaires à la réconciliation régionale, à la reconnaissance et à la compréhension commune des crimes commis durant la période.
18. Mettre en place une commission conjointe afin d’identifier les projets économiques et les réglementations nécessaires au développement de la zone transfrontalière incluant la RDC, le Rwanda, le Burundi et l’Ouganda ; cette commission s’assurerait également que les mouvements migratoires dans la région ne soient pas sources de conflit.
Nairobi/Bruxelles, 11 mai 2009
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